Léonard Leymarie - Un témoin du peloton d'exécution, JB Grousson - Quel patrimoine ?  - Au détour du Soissonnais souterrain

 

Léonard Leymarie

Léonard Leymarie du 305e RI fusillé le 12 décembre 1914 à Port-Fontenoy.

CONTEXTE

Depuis le passage de l'Aisne, le 13 septembre 1914, les régiments français ont du mal à se maintenir sur les plateaux au nord de la rivière continuellement balayés par les mitrailleuses allemandes. Pour conserver ses positions, le commandement français tente de compenser par la peur la faible valeur combative des unités qu’il met en ligne. Elles sont constituées d'unités mal encadrées et souvent constituées de réservistes. Ainsi, chaque mois est marqué par les condamnations à mort : 10 octobre, 238e RI deux condamnés ; 15 novembre, 42e RI un condamné ; 4 décembre, 298e RI six condamnés, 12 décembre, 305e RI Leymarie ; 28 janvier, 42e RI un condamné ; 12 février, 60e RI, Lucien Bersot.

À la décharge des chefs d’unités, le haut commandement leur intimait l’ordre ne pas reculer : tenir coûte que coûte, était la consigne. Que valait une vie humaine alors que chaque jour des dizaines de combattants tombaient sous les balles ennemies, si elle permettait de tenir ?

LEYMARIE

Emprisonné à Ambleny, jugé à Saint-Bandry, Léonard Leymarie a été fusillé à Port-Fontenoy le 12 décembre 1914. Il est aujourd'hui enterré dans le cimetière militaire d'Ambleny.

Accusé de mutilation volontaire, il prétendait s'être blessé accidentellement à la main gauche en voulant nettoyer le canon de son fusil. Personne ne pouvait témoigner en sa faveur car il était seul dans cette partie de tranchée. Malgré ses deux enfants, Leymarie fut fusillé.

Il s'agissait évidemment de faire un exemple. Deux témoignages le suggèrent. Elie Vaudrand (Il fait trop beau pour faire la guerre) raconte qu'un bataillon du 305e a refusé d'attaquer le 12 novembre. Onezime Henin (Ambleny le temps d'une guerre), ajoute que ce n'est pas la première fois que le régiment refuse de combattre et qu'une quinzaine de soldats se sont mutilés.

Après la guerre, la demande de réhabilitation de Leymarie fut rejetée en octobre 1921 et confirmée par la cour de cassation de Limoge en juillet 1922. Cette décision a été prise non pas car Leymarie était présumé coupable mais parce qu'il n'y avait pas d'éléments nouveaux permettant de rouvrir le dossier. Entre temps l'État avait eu des doutes sérieux sur la culpabilité de Leymarie au point de lui accorder la mention « mort pour la France ». Sans le dire, c'était une forme de réhabilitation et, en droit, permettait l'inscription sur le monument aux morts. Pourtant, c'est le statut de fusillé qui a prévalu jusqu'en 2010, puisque les différentes municipalités ont toujours refusé de graver le nom de Léonard Leymarie sur le monument aux morts de Seilhac.

Située à proximité de l'église, une stèle a été érigée en l’honneur de deux soldats français fusillés pour l'exemple dont Léonard Leymarie. On peut y lire : "A la mémoire de Léonard Leymarie du 305e R.I. fusillé le 13 décembre 1914 à Port-Fontenoy et Lucien Bersot du 60e R.I. fusillé le 13 février 1915 à Fontenoy. Reconnus innocents et réhabilités en 1922-1923".

Léonard  Leymarie, est inhumé à la nécropole d'Ambleny (tombe n° 135, carré B). Sa croix porte la mention "mort pour la France".

A Fontenoy le circuit des fusillés notifie par ce panneau les lieux des drames.

 

Un témoin du peloton d'exécution, JB Grousson

Un témoin du peloton d'exécution, JB Grousson, évoque les 2 fusillés du "17" novembre (en fait ceux du 16 novembre) et les 6 fusillés du 4 décembre

Les carnets de JB Grousson, 298e RI, ont été mis en ligne par les archives municipales de Saint-Etienne et permettent de lire au jour le jour les notes.

Y figurent 2 des 3 exécutions de novembre et décembre 1914, mais aussi les moments de gardes en tranchées sous la pluie de balles, dans le froid et la boue, les nuits dans les grottes, sur la paille, le Noël 14 "dans les grottes", le transport de blessés dans l'hôpital "des grottes de Confrécourt", le standard téléphonique des carrières...

Prière de renvoyer ce carnet à ma famille.

Guerre 1914 – 1915 – 1916

Avis (Dernières volontés)


Si je suis frappé à mort et que les circonstances le permettent, prière à MM. les sous-officiers, commandant mon groupe, ainsi qu’à mes camarades, de faire confectionner un cercueil et une croix en pierre, indicatrice, pour que ma famille puisse me retrouver.

Lui indiquer l’emplacement exact de ma tombe et lui dire de ne pas se désoler, que je suis mort content de tomber pour la bonne cause.

Les frais occasionnés pourront être prélevés dans le porte-monnaie que l’on trouvera sur moi (ou à défaut ma famille remboursera avec urgence).

B. Grousson

Voir Furnon à la 22e cie

voir Capitaine Gélade

fourrier Berthillot ou

sergent-major Ramousse CHR

 
Grousson 3 rue de la Loire à St Etienne (Loire)

Notes brèves sur la guerre 1914-15

Dimanche 18 octobre 1914 – Rentrée au 102e territorial.

19 octobre – à la bourse du travail, Jules Furnon, Javelle, Maloron, Guy, Boute, Peyronnet, etc…

29 octobre – adieux à mon père,  à ma femme, mes enfants, tous les miens.

30 octobre – à 5 h du matin, départ pour Roanne, pluie. Je revois ma femme à la gare, avec mon frère et Lucie.

7 9bre – confession et communion à Roanne avec Jules et Chambe.

8 9bre – ma femme et Mme Chambe viennent passer le dimanche à Roanne, suis résolu, adieux assez calmes.

11 9bre – départ de Roanne le soir à 5 h, on couche à Paray-le-Monial, puis départ au matin du 12 pour Digoin, Gilly, Moulins, Sermoise-sur-Loire, Nevers, Fourchambault, la Charité, Cosne, Montargis, Nemours (café nuit), Villeneuve, Le Bourget (réflecteurs Paris). Nuit complète froide, café à la bougie ! (visions de ce wagon de départ ? lanterne, sacs).

13 9bre – arrivée à Emeville, dernière gare, pluie. On attend 1 heure ½ puis nuit dans un grenier.

14 9bre – on part à pied par forêt de Villers-Cotterêts, Ambleny, Vaux. On mange des conserves de bœuf dans une terre boueuse au milieu des faisceaux, puis nuit dessus une écurie, le plancher menace de céder, on se lève pour l’étayer en dessous.

15 9bre – départ pour Vingré où on arrive près de la Croix. Le Colonel Pinoteau nous inspecte et dit à Jules de faire couper sa barbe (réponse négative), puis on va coucher à la petite grotte en haut de Vingré, on entend siffler les balles de près pour la 1ère fois, on ne voit enterrer que des soldats frappés en pleine tête, dans nos tranchées.

16 9bre – le 1er jour, nous avons un cheminot de tué, ses camarades lui rendent les derniers devoirs en pleurant.

17 9bre – on fusille à Vingré 2 soldats français accusés de désertion, on en voit descendre des tranchées, pliés dans une couverture attachés à une poutre comme un veau mort,  par des hommes à l’œil terne, pleins de boue, ils creusent un trou, on les recouvre et… c’est fini !

Annotation de Denis Rolland:  la date réelle du 16 novembre échappe au soldat qui ne dispose pas d'un repérage fiable dans le temps quand il est au front.

18, 19  9bre – Chambe pleure de la séparation. Tous ces préludes macabres nous ont mis le « cafard », on monte aux tranchées, balles et obus sifflent. On couche dans la grotte sur la terre humide, sans paille, et une autre nuit sur des pierres (froid).

20, 21 22 – Retour à Roche, la nuit, par le chemin du cheval mort, marche dans la boue, très pénible, on passe 3 ou 4 nuits à Roche dans une allée froide en plein courant d’air, où nous avions comme chandelier, un casque prussien.

23, 24, 25  9bre – On part une nuit pour aller soutenir une attaque du côté de Soissons, on s’arrête à Pernant, dans une grotte où il fait très froid pour tromper l’attente et le froid. Nous chantons avec Jules et Chabanne. Nous passons 2 nuits et 2 jours dans ces carrières et on en revient de nuit, dans des terrains détrempés, marche très pénible, Chambe ne peut plus suivre, il s’arrête vers une meule de paille, on arrive à Roche dans la nuit, avec Maloron nous couchons encore dans notre allée où nous grelottons toute la nuit. La diarrhée nous tient tous, on mange dans la saleté, on ne peut pas se laver et nous endurons le froid surtout la nuit.

27 9bre – départ de Roche à minuit par le chemin du cheval mort pour aller aux tranchées du bas Vingré où on arrive à 3 h du matin. Beaucoup de fatigue pour ces marches dans l’obscurité, la boue et chargés. 3 h matin, en arrivant Jules est de faction au poste d’écoute et moi vers les créneaux qui nous relient au 42e de ligne, ciel étoilé, nuit froide, finie dans les trous (tête à Damour) que j’ai failli tuer à 10 mètres, l’ayant en pleine nuit, pris pour un allemand avançant sur nos tranchées.

Ci-desous les tranchées boueuses (collection Soissonnais 1418, publiée dans plaquette Les carrières de Confrécourt):

28 9bre – Encore 1 jour et 1 nuit de tranchée. On dort sous la pluie entre 2 factions ; la terre s’éboule, on redescend au village pour 2 jours, dans une écurie 2e escouade.

29, 30 1er 2 Xe – à 6 h du soir, fusils et mitrailleuses entrent en jeu, aux tranchées. Le sergent Niguet nous dit : « chacun à son poste, débouchez vos créneaux et préparez-vous à vous défendre ! » puis le calme renaît, nuit de faction. À l’arrivée haut de l’escalier, Maloron est furieux tant il est fatigué.

3 Xbre 1914 – travaux aux tranchées et retour à Vingré, toujours même écurie.

4 Xbre – à 4 ½ du matin réveil pour exécution à 6 h à Vingré de 6 soldats ayant abandonné leur poste surpris par les allemands, avec Jules, je fais partie du  peloton qui les encadre baïonnette au canon, pour les mener au lieu d’exécution où le régiment est réuni (19e Cie). Les aumôniers leur parlent et les embrassent, on leur lie les mains qu’on attache ensuite à un poteau on leur bande les yeux, l’adjudant Delmote qui commande le peloton d’exécution abaisse son sabre, 72 fusils partent à la fois (dont Eyraud) et ces 6 martyrs tombent sans un cri, un sous-officier vient leur donner le coup de grâce et on fait défiler tout le régiment devant ces 6 corps pantelants. Spectacle inoubliable et saisissant, l’un avait 5 enfants, l’autre 3. Etaient présents, Col. Pinoteau, lieut. Diot, médecin Mallet, lieut. Brendejac.

5 Xbre – de garde dans les bois de Vingré avec Jules, les balles pleuvent autour de nous, pas de mal.

6 et 7 Xbre – d’observation, le plus près de l’ennemi, avec Jules et Maloron nuit mauvaise, poste très dangereux où le bruit des balles ne cesse pas une minute, à chaque instant elles frappent les créneaux de fer où nous veillons.

Le soir du 7, en rentrant des tranchées, on mange la soupe à Vingré et on repart en pleine nuit noire, porter des « hérissons » à la tranchée, en cours de route en passant sous les peupliers de la route 3 camarades de notre escouade sont blessés, 1 à la tête, Fournier, balle au képi, 1 à la cuisse et 1 a le pied traversé, Molette. Ma capote est traversée par une balle, dans les pans, je m’arrête pour aider à emmener le 1er blessé que Faury soutenait.

Quand je reviens ma compagnie était partie et je me trouvais perdu en plein bois par une nuit très noire et défense de faire du feu, l’ennemi étant tout proche. Après avoir erré dans la nuit, une vingtaine de minutes à rechercher ma direction, trompé par l’obscurité, je tombe au fond d’un ravin. Le choc tombe tout sur l’estomac, si bien que je ne pouvais plus respirer. Quelques minutes après, je me relève et je regagne la route qui me ramène à Vingré où le sergent Niguet me dit d’aller à l’infirmerie, mais je rentre dans notre « écurie » et m’endors abattu de fatigue, sur le fumier souillé.

Ci-dessous le poste de secours de Confrécourt évoqué par ce témoin:

8 Xe – matin. Transport de buttes aux tranchées, le soir de service de bois.

9 Xe – de garde au poste de police à Vingré, où on me met en sentinelle à l’entrée du village derrière un tombereau, les balles y tombent, venant de tous les côtés, la veille une sentinelle a reçu une balle dans les reins, elle est morte aujourd’hui. J’y reprends la faction de 2 heures à 4 heures rien. Après moi, Maloron y prend la faction avec Damour, à 5 h ½ du soir, il y reçoit une balle qui lui traverse la jambe. On l’emporte sur un brancard où je vais lui parler devant le poste, il est évacué dans la nuit sur Vic et Compiègne. Un ami de moins – Courage !

Le même soir, nous montons aux tranchées par une nuit très noire, dans la boue, pluie. La fusillade allemande éclate en haut du bois, vers l’escalier. Le sergent Bruyas nous fait tous coucher contre un repli de terrain, la rafale dure 10 minutes et nous allons avec Jules prendre la faction de nuit à l’entrée de la tranchée vers le poste de résistance

Vision de ce poste : après la faction on revient à l’abri, où sont entassés 2 escouades, on marche sur des pieds, des jambes, on est éclairé par une bougie et pour dormir là, il faut n’avoir pas dormi de longtemps.

10 Xe – à 3 h retour à Roche pour repos.

11 Xe – débarbouillé et changé de linge au bord de l’Aisne.

12 Xe – couture, nettoyage, envoyé colis linge, demande brancardier.

13 Xe – dimanche – exercice au bord de l’Aisne.

14 Xe – douches à Vic s/Aisne (boîte de singe). Le soir revue d’arme par Ghivel et Diot.

15 Xe – abattage d’arbres dans les bois.

16 Xe – monter aux grottes de Confrécourt.

17 Xe – grottes de Confrécourt (nuits froides).

Ci-dessous les grottes qui servent de cantonnement (collection Soissonnais 1418, publiée dans plaquette Les carrières de Confrécourt):

18 Xe – idem. La nuit travail avec artillerie, dans les tranchées, Damour sort dans la boue (sergent Forest-Eyraud).

19 Xe – monter aux tranchées, nuit très noire et grosse pluie. Mon créneau tombe, on piétine sur place dans la boue. Reçoit colis de Javelle (cartes). On livre quelques cartouches.

20 Xe – toujours aux tranchées de Confrécourt. Dimanche, toute la journée on tire de temps en temps à 9 h du matin, le sergent Bruyas passe derrière nous et nous distribue des cartouches supplémentaires en nous disant « il y aura attaque au petit jour, l’artillerie donnera avant, ouvrez l’œil et le bon. »

21 Xe – au jour on fait venir tout le monde aux créneaux, le canon roule au lointain sans arrêt, comme un tonnerre. On attend l’attaque, elle se produit sur la gauche vers Nouvron où les nôtres ont pris une tranchée mais laissent 1 200 morts. Avec Jules, nous avions bu avant une petite fiole de rhum, recommandations, nous étions prêts. La nuit qui suit  je suis de garde à côté de Jules, nos créneaux se touchent et tous les deux, nous avons cette nuit-là, tiré beaucoup de cartouches sur les créneaux allemands.

22 Xbre – on est relevé à midi. Descente aux grottes, on a à peine le temps d’avaler une gamelle que l’on repart à Vingré par les « boyaux » pour y rapporter des madriers. En arrivant aux grottes, on y trouve colis de Noël. À 7 h du soir, on nous lit le « code » avant les attaques futures « blessés ou prisonniers, l’ennemi tuera tout » et toute infraction à la discipline sera punie de mort ! mort ! mort ! mort partout quoi !

23 Xbre – corvée de pierres à la ferme de Confrécourt. Le soir, fait des échelles.

24 Xbre – matin, visite médicale, antipyrine et consultation motivée, pas d’arrêt. Le soir à 11 h Maloron arrive de Compiègne. À minuit grande messe dans la grotte, avec chœurs dont je fais partie. Kyrie de Dumont, Gloria, je suis chrétien, minuit chrétien, chanté par un vieux commandant du musée de l’armée, avec reprise ou refrain par les chœurs, à l’élévation sonnerie « aux champs », clairons bouchés et piquet d’honneur à l’autel, baïonnette au canon, officiers et soldats communient en armes. A la fin : la Marseillaise pour tout le monde. Jules est « Suisse » avec pour hallebarde un sapin surmonté d’un coupe choux allemand et d’une hache-paille. Éclairage féérique au fond de cette grotte !

Après la messe, réveillon en 10 minutes avec une boîte de sardines à trois et 1 quart d’eau puis on s’étend tout équipé sur la paille car on est en alerte.


25 Xbre – Noël – à midi, montée aux tranchées, avec Maloron malgré sa blessure (ordre du médecin). De faction en 1ère ligne avec Jules et Maloron de midi à 6 heures et de minuit à 6 h du matin. 3 jours et 3 nuits pénibles, très longs, dont 2 à la pluie. On dort tout mouillé, on mange froid, les balles font voler la terre dans nos gamelles

Les obus allemands tombent sur nos tranchées, le sergent Gelly est blessé par un obus, il est criblé, on l’emporte aux grottes.

26 Xe – au poste téléphonique B, dans la tranchée (Gonachon téléphoniste). Trou dans la terre, immobile toute la nuit avec l’appareil à l’oreille. Poste B, dans la nuit on fait sauter la sape Marquet ce qui déchaîne 4 vives fusillades successives. On passe des messages toute la nuit. Au matin, descendu chercher soupe à Vingré par boyau Hoche, tout est éboulé, on vit dans l’eau et la boue. Le soir retour par le boyau artillerie avec tout le chargement, sac, fusil, plus des outils de parc, les pieds sont très durs à tirer d’une épaisseur de 40 centimètres de boue consistante. Grosse fatigue pour arriver aux grottes où j’arrive avec les reins écorchés par le sac, grosse pluie en arrivant. La compagnie va cote 130,  soutien d’artillerie. Je reste au poste téléphonique des grottes, le soir du 28 – 29 et 30 Xe  où je trouve Peyron de Bourg-Argental, caporal Pouzols du Chambon et Gimbert, passementier, rue Montferré, tous du 216e, de bons gars !

31 Xe – poste des grottes, vu M. Déléage. La mine allemande saute à la tranchée ensevelissant 5 des nôtres et créant un immense entonnoir. Reçu lettres et colis de ma femme et de mes enfants (au milieu de nos malheurs ces envois me rappellent le pays), ma gorge se serre et je vais me cacher pour…pleurer à mon aise. Faiblesse vite passée, je me dispute moi-même, à 5 heures je rentre à la grotte où avec Jules, Maloron, Heyraud et Damour nous mangeons le jambon et boîte saumon d’Antoinette. Nous n’avions pas terminé, qu’un ordre arrive « sac au dos ! en armes » les Allemands occupent « l’entonnoir ». On fait monter plusieurs sections de renfort aux tranchées, nous sommes tous prêts, lieutenant Diot, à l’entrée des grottes, fusil canon en bas sous sa pèlerine, puis le calme renaît.

... on se téléphone constamment jusqu’à 1 heure du matin. À minuit exactement, le général Maunoury avait téléphoné ses souhaits à son armée, le génie place un nouveau tableau, à 1 h ½ du matin, je me couche sur de la paille hachée après avoir été, à minuit, dans la grotte, réveiller Jules, Heyraud et Maloron pour leur souhaiter la bonne année.

1er janvier 1915 – à 7 h ½ Maloron est venu me chercher au poste, je suis allé aux grottes où nous avons fait un bon casse-croûte, avec le contenu de nos colis. À 9 h notre artillerie souhaite la bonne année aux allemands en leur adressant quelques obus.

De midi à midi ½ soupe, confiture, chocolat, 1 mandarine pour 2, 1 bouteille de champagne pour 5, 1 cigare, 1 quart de vin, le tout pris avec Heyraud, Maloron, Damour, Grousson, Limousin, à genoux sur la paille des grottes, la gorge se serre à cette souvenance des 1er de l’an en famille et pourtant quelle différence ? À la lueur des bougies, sur la paille dans les grottes, armés, prêts à partir, le soir à 5 heures casse-croûte encore ensemble, puis coucher à 8 h ½ dans les grottes (au poste) d’où on entend les nôtres chanter le chant du départ et montagnes des Pyrénées (c’est du pays). On chante ici et on meurt 200 mètres plus haut.

2 janvier 1915 – beau soleil, toujours téléphone. Vu monsieur Hyvert, cylindreur, ordonnance d’un lieutenant du 216e, Gamet caporal-fourrier. Artillerie tire sur nos tranchées 150 mm, court.

3 janvier – mort de ma mère à Saint-Etienne. Journée au poste téléphonique de Confrécourt. 200 obus allemands tombent sur nos tranchées, un seul blessé au poste de secours et 1 homme du 66e tué d’une balle au cœur ; le soir le « Gonin » était ému.

4 janvier – au matin, descente de Confrécourt à Roche, pluie, Heyraud va à Ambleny. Logés dans un grenier, montée par une échelle, jambon à Damour se mange à minuit, Mary cuisinier nous embête avec Micollier.

5 janvier – matin exercice à Roche, soir corvée de cantonnement, enterrement de ma mère.

6 janvier – exercice matin et soir (Jules malade).

7 janvier – Corvée de pierres ferme de Confrécourt. Corvée d’arbres à Roche avec un du 102 pour abri de chevaux. Appris mort de la mère.

 
Liens Archives de St etienne

Quel patrimoine ?

 

Dès le 16 Septembre 1914, les médecins et infirmiers du 216e R.I. s'installent dans les carrières de Confrécourt où l'on compte près de 400 blessés couchés à même la paille dans la carrière de "l'hôpital" et plus de 300 dans la creute baptisée plus tard "Carrière du 1er Zouaves"...

"C'est dans la région de l'Aisne, où l'ennemi s'est accroché depuis des mois aux falaises rocheuses. En face de lui, autant et mieux que lui, nos troupes se sont adaptées à l'étrange vie souterraine des troglodytes... Un tournant brusque et voici qu'une gueule sombre s'ouvre devant nous, dans un chaos de blocs de pierres. La grande carrière est là. Elle abrite maintenant 2 compagnies d'infanterie française.

Comme dans les catacombes romaines, des galeries s'ouvrent. L'allée principale se ramifie en couloirs irréguliers qui descendent jusqu'aux salles profondes, voici à notre droite le cercle des officiers, à gauche la cambuse du fourrier... Un abri sec, de la paille, quelques meubles, du feu, c'est le grand luxe pour ceux qui reviennent des tranchées. A l'issue d'un couloir, soudain apparaît une des grandes salles.

Sur la paille, abondamment jetée, des hommes reposent déjà. C'est la compagnie qui a veillé et combattu dans les tranchées de première ligne. Les soldats ont sombré dans le sommeil... D'autres jouent aux cartes. Des bougies piquées ça et là éclairent leur visage... Quelques-uns profitant d'un rai de lumière, écrivent, ayant leur sac comme pupitre sur les genoux."

Julien Tinayre, le 23 Janvier 1915 dans l'Illustration

Entrée de la carrière du 1er Zouaves

" J'ai revu avec émotion la place où j'ai couché pendant 4 mois sur une paille hachée, jamais renouvelée, pleine de vermine, cette paille avait servi aux Allemands puis aux 298 et 238 R.I."

Capitaine Gradet du 42 R.I.

"Nous allons en réserve dans une carrière de pierre, éclairée à l'acétylène. Malheureusement dans ces cavernes, tout n'est pas drôle, la vermine nous dévore, poux, puces, rats, souris pullulent. De plus, c'est très humide et beaucoup de soldats tombent malades."

A. Lavollé du 4ème Cuirassiers

"Il y avait beaucoup de joueurs aux cartes, d'autres qui les regardaient, d'autres qui travaillaient des douilles d'obus pour en faire des vases, on avait aussi le temps d'écrire à sa famille."

Un soldat du 170 R.I.

A l'abri des carrières

Comm'des vautours

Les Boches ont résolu,

Ils s'enferment dans leurs repairs,

De n'pas montrer leur blairs.

Mais quand vient l'soir

Quand on leur tire dessus

Et qu'il fait noir,

Pendant le jour

Ils changent tout à fait d'manière.
 
3ème couplet de la chanson du 170 R.I. dans les tranchées (sur l'air de "Sous les ponts de Paris")

(dessin de Louis Tinayre présentant des scènes de vie dans les carrières du Soissonnais, confirmées en 2017 comme celles de Confrécourt)

La célébration de la messe de minuit 1914  devant l'autel de l'aumônier militaire Paul Doncoeur à Nouvron-Vingré dans la carrière du 1er Zouaves.

Au détour du Soissonnais souterrain

Les carrières, lieux de cantonnement, recèlent des grafittis évocateurs des résidents combattants:

 

 

Réagir à cet article

10 + 7 =