Au détour du Soissonnais de surface - Retour sur un graffiti de Confrécourt - Un appréciable patrimoine allemand
Au détour du Soissonnais de surface
Le promeneur attentif peut observer sur les murs des habitations actuelles la trace du passage des soldats:
Chère Maman,
Le temps passe et les évènements ne se hâtent pas. Me voici dans un nouveau village, installé dans de nouvelles grottes, moins belles que les premières, mais encore très confortables.
Je viens de me construire un vrai ermitage dans un coin de grotte.
J’y suis à l’abri.
C’est un peu humide, mais en chauffant cela ira.
Je me construis un nouvel autel dont je vous enverrai la photo.
Nous sommes toujours dans la même situation.
Hier, j’ai été avec un autre prêtre chercher sur le plateau un corps qu’on avait pas encore enterré depuis octobre, je crois. Il a fallu pour cela nous mettre à plat ventre et ainsi le tirer 100 mètres durant sans nous lever, sous peine d’être vus. C’est une famille qui aura du moins la consolation de retrouver une tombe.
Le Père Maximin m’a fait obtenir pour mes prêtres infirmiers une chapelle de campagne.
Je lui en suis bien reconnaissant, car elle nous rendra bien des services.
A Dieu, ma bonne Maman.
Que Dieu vous garde et que le bon saint Joseph vous protège.
Je vous embrasse.
Votre Paul
Retour sur un graffiti de Confrécourt
Le bas-relief de la carrière de l’hôpital à Confrécourt
Collection Soissonnais 14-18 (cliché Alain Puech)
Essai d’interprétation
1.OBSERVATION
Ce bas-relief, que l’on peut voir au dessus de l’entrée de la carrière ayant servi d’hôpital à Confrécourt pendant la première guerre mondiale, s’inscrit dans un rectangle d’environ 2 m de large et 1,50 m de haut; il est entouré d’un cadre d’une quinzaine de centimètres, assez bien conservé sur les côtés horizontaux, probablement cassé ou inachevé sur les côtés verticaux.
A droite, un personnage assis sur ce qui doit être un tabouret, de profil, le visage tourné vers la gauche, casqué, vêtu d’une longue capote, les deux jambes en avant du tabouret, tient dans ses mains un fusil dont on distingue la crosse, posée par terre, et la baïonnette, touchant le cadre.
Au centre, courant vers la droite, donc vers le personnage assis, un petit personnage nu, sans signe sexuel apparent, au profil finement ciselé, avec un casque ou un bandeau sur le crâne, et avec deux ailes qui se détachent au-dessus de ses épaules, tient par la main gauche ce qui semble une palme, et un autre objet plus difficile à identifier, peut-être un chapeau.
Par la main droite, il tire la main gauche d’un autre personnage, nettement féminin, en train de courir lui aussi, comme l’attestent une jambe levée vers l’arrière, et les pans de sa robe, fendue au genou, qui flottent presque à l’horizontale vers l’arrière (la gauche donc). Ses seins dépassent de sa robe. La chevelure, peu ou mal dessinée, tout comme le visage dont on discerne le profil mais pas les traits, ressemble à un casque, mais comprend peut-être un chignon.
Ce personnage tire lui aussi par la main droite la main gauche d’un quatrième et dernier personnage, lui aussi avec un profil apparemment féminin, probablement inachevé. Le profil du visage est à peine dessiné, et on distingue des jambes sans vêtement, et une sorte d’écharpe qui pend sous le bras gauche et semble entraînée vers l’arrière par la vitesse. Le bras doit est lui aussi tendu vers l’arrière, peut-être pour attirer un autre personnage hors-cadre.
2.ESSAI D’INTERPRETATION
Des références antiquisantes?
La forme du cadre et la position assise du personnage de droite, qui dépasserait les autres personnages et le cadre s’il se mettait debout, font penser à la frise des Panathénées du Parthénon à Athènes, où les dieux, assis, regardent défiler la procession faite en leur honneur.
La nudité des deux personnages centraux (entière pour le petit personnage ailé ; limitée aux seins pour l’autre) semble exclure toute référence à un thème emprunté à l’art chrétien, mais nous dirige plutôt vers un ensemble allégorique « à l’antique ».
Le petit personnage central, avec ses ailes levées vers le ciel, peut-être casqué, ressemble en tout cas à la reconstitution de la Nikè (Victoire) du musée d’Olympie (on la trouve à l’avers des médailles olympiques depuis 2004), qui a une coiffure ressemblant étrangement à celle du petit personnage de Confrécourt. Ce dernier porterait donc dans sa main gauche, outre l’objet mal identifié, une palme, symbole de victoire.
Propositions d’interprétation
Le personnage de droite est manifestement un poilu, cantonné à l’entrée de l’hôpital. Sa position assise peut faire penser à un soldat fatigué, voire blessé, mais qui resterait en tenue de combat, ce qui se justifierait à l’entrée d’un hôpital situé juste sous la ligne de front.
On peut légitimement penser qu’il attend la Victoire, qui effectivement accourt vers lui en lui apportant ses palmes, et, qui sait, le chapeau du retour à la vie civile.
Le personnage tiré par la Victoire est probablement l’allégorie de la Liberté, car la ressemblance avec celle du célèbre tableau de Delacroix est manifeste.
Mêmes seins nus, même illusion du mouvement donnée par le drapé du vêtement. On peut aussi se demander si la petite taille de la Victoire de Confrécourt n’est pas inspirée par la composition du tableau de Delacroix, sur lequel la Liberté est flanquée à droite d’un enfant traditionnellement désigné sous le nom de Gavroche.
Resterait à savoir qui est le personnage le plus à gauche. On pourrait penser à la Paix, mais pourquoi pas à l’épouse du soldat.
Pour résumer, ce bas-relief raconterait l’histoire suivante, bien dans le goût allégorique de l’époque : le poilu fatigué doit attendre avec sérénité la Victoire, car elle accourt vers lui, logiquement accompagnée de la Liberté ; elles lui assureront un retour paisible et glorieux à la vie civile.
Réflexions sur l’auteur
Il est naturellement impossible sans recherche longue et pénible d’identifier nommément l’auteur de ce bas-relief. On peut néanmoins estimer qu’il s’agit d’un étudiant des beaux-arts, de culture et de goûts classiques, familier du style allégorique « à l’antique », qui était très répandu à l’époque. On peut en voir une illustration dans les bas reliefs du Palais de Chaillot à Paris ou de l’Opéra de Marseille, sensiblement de la même époque, et conçus par des artistes de la même génération.
Palais de Chaillot : Vulcain et le feu
Opéra de Marseille : figures allégoriques de la façade
Mobilisé et affecté dans un régiment à Confrécourt, cet étudiant aura reçu l’autorisation - qui le dispensait peut-être des combats - de réaliser cette oeuvre, qu’il n’aura pas eu le temps d’achever ; mais l’inachèvement du bas-relief de Confrécourt ne doit pas être forcément interprété de façon tragique, puisque les régiments cantonnés à cet endroit étaient systématiquement déplacés au bout de quelques mois.
Rédigé à Confrécourt le 8 août 2013
Achevé à Eguilles, le 17 mai 2014
Yves Le Fauconnier
Un appréciable patrimoine allemand
Les combattants allemands du secteur ont laissé eux aussi bon nombre de traces majeures :
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